Le nom de l’écrivain D.H. Lawrence semble à jamais associé à celui de son héroïne, la sulfureuse Lady Chatterley. Publié en Angleterre plus d’une trentaine d’années après sa mort, L’Amant de Lady Chatterley provoqua, des deux côtés de la manche mais également dans à peu près tous les pays où il fut publié, des débats enflammés à propos de la littérature, de la morale et, bien sûr, de la censure. Le livre ne fut pas interdit en France et fit la gloire posthume de son auteur mais les critiques furent sévères. Ce roman tient-il de la pornographie ? La littérature peut-elle tout se permettre ?
Une découverte posthume:
Les lecteurs lettrés s’informant de la littérature anglaise contemporaine à travers un article de la Nouvelle Revue Française signé T.S. Eliot ont peu de chance en 1927 d’avoir une très bonne opinion de lui, T.S. Eliot jugeant les romans de D.H. Lawrence « mal écrits » et « manquant de légèreté ».
Une Lady Chatterley au cœur des débats
Le 27 janvier 1932, le roman de l’auteur anglais est le « livre de la semaine » de Paris-soir. Le journal critique déjà les « considérations morales » qui entourent le roman et qui en font un « ouvrage érotique ». Il s’agit pourtant pour le journal, d’un « beau poème romanesque de l’amour charnel ».
Si le livre a provoqué plusieurs débats et polémiques, il n’est pas censuré en France. Qu’en est-il en Angleterre ?
Une redéfinition de la censure ?
En Angleterre, il faut attendre les années 1960 pour que paraisse intégralement le roman de D.H. Lawrence. Avant cette date, la publication du livre est purement interdite, son éditeur Martin Secker se contentant en 1930 de publier une version expurgée des scènes les plus polémiques rendant la compréhension du livre et des intentions de l’auteur difficiles.
Les avocats de la maison d’édition réfutent ces accusations d’obscénité et font d’ailleurs appel à un évêque. Pour ce dernier, les scènes de sexe doivent être prises dans le contexte général du roman qui fait de « la relation sexuelle quelque chose de profondément sacré ». Si l’auteur n’est certainement pas chrétien, l’évêque ne voit pas pourquoi les chrétiens ne pourraient pas le lire.
Le sociologue et historien Richard Hoggart est également invité par la défense pour donner son avis sur la valeur littéraire du livre. Hoggart défend notamment l’usage du mot « fuck » sciemment employé par D.H. Lawrence dans le texte original.
Le jury donne finalement raison à la défense. Ce jugement est une date importante pour la culture en Angleterre, désormais « libérée » du poids de la censure morale. L’épée de Damoclès suspendue au dessus des auteurs en fonction des mots qu’ils choisissent d’utiliser disparaît. Le poète et écrivain Philip Larkin résume à sa façon le procès et les conséquences de son verdict :
« On a commencé à faire l’amour
En 1963
Entre la fin de la « censure Chatterley »
Et le premier disque des Beatles »
Le procès est encore regardé par la presse anglaise comme celui « qui a libéré l’Angleterre ». Pour le Guardian, aucun autre procès n’a eu autant d’impact dans la société anglaise.
Si la France a été épargnée de quelconque censure, ce n’est pas le cas de nombreux autres pays.
En Australie, non seulement le roman mais également un ouvrage relatant le procès anglais furent interdits de circulation. Il faut également attendre les années 1960 pour que la publication du livre soit autorisée au Canada et aux Etats-Unis.
Au Japon comme en Inde, des procès pour obscénité ont eu lieu mais dans les deux cas ce sont les éditeurs qui ont été reconnus coupables, contrairement au procès anglais.
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Merci à Babelthèque En partenariat avec RetroNews, le site d’archives de presse de la Bibliothèque Nationale de France, qui nous ont offert tout l’été, un cycle d’articles consacrés aux grandes controverses littéraires.
Un extrait de l’Amant de Lady Chatterley:
« Elle ouvrit la porte et regarda la pluie drue et lourde, semblable à un rideau d’acier, et elle eut soudain envie de se jeter dans la pluie, de sortir, de fuir. Elle se leva, et se mit vivement à retirer ses bas, puis sa robe et ses dessous. II retint son souffle. Ses seins effilés et aigus d’animal pointaient et bougeaient à chacun de ses mouvements. Elle avait une couleur d’ivoire dans la lumière un peu verte. Elle remit ses chaussures de caoutchouc et s’élança dehors avec un petit rire sauvage, et les seins présentés à la lourde pluie, les bras écartés, elle se mit à courir de-ci de-là, indistincte dans la pluie, exécutant les mouvements de danse rythmique qu’elle avait appris il y avait si longtemps à Dresde. C’était une étrange silhouette pâle qui s’élevait et retombait, se penchant en sorte que la pluie venait frapper en reflets luisants les hanches pleines, se redressant et s’avançant, le ventre en avant, à travers la pluie, puis s’inclinant de nouveau en sorte que seuls ses fesses et ses reins, pleinement offerts, se tendaient vers lui en une sorte d’hommage, en un rite sauvage d’obédience. »