Fugacité CCCLXV

Photo Julie

je te regarde poser un bâillon sur la bouche du ciel

et reprendre à ton compte et dans tes mains son mensonge

dans le souci farouche de ton sommeil

mais la femme qui dort ne sait rien du vent

et sur chaque parcelle de son corps se lèvent de petits segments

précisément découpés sur l’éternel qui songe déjà au lendemain

 

Barbara Auzou

Avant la cristallisation du miel

je cherche ton visage

et c’est au mien qu’il se mêle

les lents moulins du temps

battent tous les ciels

pour nous surprendre au matin

d’oiseaux déchagrinés

et d’abeilles ébaubies

tantôt habitante tantôt habitée

l’âme conçue pour la marguerite

et ta joue tout près

j’applaudis la beauté

qui se donne avec raison au tremblé

de formes aimables

j’applaudis cet élargissement de l’être

venu se laver au soleil

d’une nudité sans rive

et si je n’ai pas toujours les mots

je suis quitte

d’un beau boisseau de vie

poussé sur une fleur perméable

je te laisserai

juste avant la cristallisation du miel

ce toucher frêle d’un infini

qui vient parfois posséder mon effroyable

cécité

pour me mettre dans la bouche

tous les silences pour te dire

 

Barbara Auzou

Gardienne de la terre / une aquarelle de Francine Hamelin accompagnée de mon poème

Gardienne de la terre / Une aquarelle de Francine Hamelin .

Et Francine Hamelin c’est ici

elle a chanté trois fois

cette voix émue du seuil

avare de son logis

il est trop tôt ou trop tard

pour l’espoir qui s’attache

à la bête craintive de mon pas

et partout la suit

je serre son texte tendre

soudain couvert de feuilles

et pour le pré d’une seule province

je m’allonge dans son lit

je creuse le sillon mince

de sa bouche où grandit

le calme des plantes 

où s’épouse la douce furie des lendemains

ô oui je serai la gardienne

de tout ce que l’on touche au plus profond

de tout ce que l’on vénère

j’ai dans mes mains des paniers d’hirondelles

un désir de vert capturé vivant

et chaque printemps est un prétexte

à un délié opiniâtre

chaque printemps est un prétexte

à la poursuite du chemin

si j’ai un seul soleil à l’aine

dans les cheveux un champ de blé roux

qui s’étire comme le font parfois les oiseaux

sur les margelles

c’est que je reste cette enfant plus loin

prise malgré-moi dans les vertiges de la division

et le si beau souci de durer

quand partout dans le monde pèse la menace

 et s’effacent un à un les arbres

Barbara Auzou

Quatre-vingt-quinzième lettre pour toi

les saisons annelées en une seule chaîne ont déversé tout leur or en une seule nuit

je t’écris

la lumière ce matin aragne doucement et de biais le cœur de chaque fleur et j’arrose mon souffle ténu de ce trou d’air entre les choses comme un fantasme d’été que je peigne dans le sens du poil

j’aime l’orgueilleux jardin de juin qui croit en sa bonne étoile

j’y exerce mon droit d’admiration en toute conscience lui taisant la brûlure que juillet va lui infliger

alors j’engrange des oiseaux

je capitalise les roses naissantes tandis que mille soleils déjà se lancent à leur poursuite comme autant de guêpes mûres

et je repeins de ma peau la mémoire assiégée de mers pour qu’elles se bercent mutuellement de leurs chansons d’eaux

comme je te l’ai dit à l’école ce n’est pas un mois de tout repos

on ressort en grande hâte les cache-pots pour colmater tout ce qui est ébréché en faisant semblant de croire encore que le pansement fait la santé

et que le pied blessé rejoindra malgré-tout la foulée des conquérants

je suis de jury des oraux de brevet ce vendredi

et je ferai preuve de cette bienveillance tellement obligée qu’elle en perd son naturel et devient l’aile blessée au milieu du chaos

je cultive ma lucidité aux abois dans ces buissons d’apparence assez pour traverser avec élégance ce cruel bourbier quoi qu’il en soit

je t’aime

pas la lisière d’un poème où tu ne sois

j’ouvre ma fenêtre ponctuelle sur ta chambre d’échos

car ce qui s’échappe de ta bouche n’est jamais un oiseau frivole

B