Carte Postale.
Mais je vous écrirai encore
Ne serait-ce que pour vous dire ce matin triste sur les corps
Et la désaffection grise de l’alouette rejoignant un avant-monde moins chagrin
Et le ciel pâle qui tend ses longs bras décharnés
où pend sa grande fatigue de valise muette
Cette carte dans mes doigts serrée
m’indique l’endroit exact où vous vous êtes envolé
Et je m’empresse de dessiner de nouvelles bouches à ces moutons de sel égarés
Et de nouvelles intentions à tous leurs gestes manqués
qui dorment sur le dos
Si- comme je le pense- c’est par le hublot
de mes yeux que vous les apercevez
Barbara Auzou.
Carte Postale (II).
Je vous écrirai
Et comme on a tort de se moquer du temps qu’il fait
Aujourd’hui tout se consume au fond d’un temps pâle
Dans les grands lits malades des pharmaceutiques dimanches le matin traîne encore dans son simulacre de nuit
Et la vallée de givre en robe blanche ne demande plus qu’à être investie d’un vrai corps
Qu’on pétrit en saluant au passage les oiseaux ravis qui assistent au spectacle d’un lyrisme échevelé (espérant toutefois que vos pas vous amènent chez le boulanger)
Je remonte chemin faisant et à pied
La circulation endormie de ce sang qui vous attend
Barbara Auzou.
Carte Postale (III)
(Photo Louis Bourdon)
Je vous écrirai encore
Même si la lumière oblique ce matin me blesse les yeux et que mon corps
à nouveau est rongé par la bête familière
Les boules de givre sont sorties de l’aire
de jeu pour lancer le cochonnet plus loin emportant dans le nœud de mon mouchoir un être qui me fut cher
Il pleut
Le temps -égal toujours- tape au fer pour nourrir la ténébreuse insomnie et vous seul savez comme je veux me tenir loin de cette langue ternie
devenue le nombre
pour garder en commun avec vous la cérémonie silencieuse à la bouche des étoiles qui se sont tues
Il fait noir
Et je vous entends me dire encore:
-Soyez-en sûre
Nos soleils ont des jambes à escalader les murs
Vous avez dans les yeux l’indispensable folie de vivre
à ranger dans tous mes livres
les ardents documents de ma mémoire
Barbara Auzou.
Carte Postale (IV)
Je vous écrirai encore
Il va bientôt faire jour sous les paupières où je vous tenais enfermé et il me faudra me distraire doucement de mon corps
Le réel prolixe veut le rêve étranger et mon pied posé sur le seuil coutumier de l’imposture tourne sa page lente sur des fossés blancs envahis à la marge par la nuit obscure
La lune incurvée sur le mitan de son âge n’en a pas fini avec ses facéties et les arbres somnolent encore au genou inconsolable de leur bonne volonté rêvant à une possible métaphore du voyage
Entendez-vous pourtant cette langue d’oiseaux dans le ciel lucide qui se bat contre l’ombre croissante?
Le vocable absolu s’est étendu sur la plaine en attente
Il me semble l’avoir vu sourire
D’un sourire enfantin comme une fente devant la roue des astres rompue
À nous réunir
Barbara Auzou.
Carte Postale (V)
Je vous écrirai encore
C’est l’heure de la couleur élémentaire qui laisse la nuit courroucée
Et la valeureuse prison de mon corps est venue à bout des verrous de l’aurore
J’ai laissé mon rêve de cheval ailé à son grand pré vert Mes peurs dorment étales sous le petit pont qui enjambait nos fleurs familières
La mémoire du mot -scélérate- se range à l’organisation mécanique du monde
Regarderai-je aujourd’hui dans les yeux l’abandon à la vie immédiate?
Je tiens mon or plaintif au premier rang des dangers de la combustion
Et les moineaux nerveux de mes poumons se posent à votre front en d’incessantes graphies de feu
Je poursuis pourtant mon chemin
Et
Je vous écrirai demain
Barbara Auzou.
Carte Postale (VI)
Je vous écris toujours
Et pourtant ce jour m’a traversée en oblique et dans le secret des actes si bien que lui-même s’en étonna comme un oiseau reste debout et coi devant l’envol signalétique et blême
D’un ciel de surcroît sans ornement
Les étoiles se consument amères et l’esprit et sa gueule à problèmes sont giflés un peu partout
Ils tendent l’autre joue aux discours enfumés et moi
Je suis un galet sans mer qui vit dans une étable délabrée dont j’ai cloué à la sage hirondelle les dalles disjointes
Hors d’atteinte du monstre familier j’ai confié mes mains saisonnières à vos mains de charpentier
Quand vous reviendrez ce sera la saison grave de l’amandier et vous donnerez un corps de soleil à ces murs désolés qu’on entend gémir au fond des caves
Revenez sans prévenir un matin
J’en appelle au printemps des granges
Sans me faire entendre du commun
Barbara Auzou.
Carte Postale (VII)
Je vous écris
De mon pré ferroviaire qui prend chaque jour davantage la forme du verbe donnant seul à voir l’âme fière que j’habite en ses tendres imprécisions
J’ai froncé rail après rail le cuivre de mes soucis comme vous me l’aviez appris et je fais attention
À ne pas épouser toutes les tristesses de métal qui s’empalent sur des voies d’abandon
Et pourtant aujourd’hui le silence est en rang devant un deuil à genoux
Vous souvenez-vous?
Combien de compagnons vermeils qui n’épousaient pas la cause des grands nuages avons-nous perdu au seuil large de nos grands soleils?
Je cherche en mon jardin un surcroît de confiance à l’immanence arraché
Et le recul du doute qu’on devine parfois dans les jours ordinaires
Je vous touche du regard à la lampe qui éclaire
J’attends de vous plus que jamais
La persistance et l’origine
Libérée de ce jour sévère
Demain encore je vous écrirai
Barbara Auzou.
Carte Postale (VIII)
Je vous écris tout le temps
Je feins souvent de dormir comme on gît hésitant au bord du soupir et c’est faire pauvre ménage de l’aube à qui j’offre mon dos sévère
Sachez que j’ai lâché ce matin mes derniers oiseaux
Ils voulaient le sable et volaient tellement bas sur le pavot de ma cruauté sédentaire
Chacun a existé en ce lieu que le vent n’a pu retenir et j’ai arraché de mes dents les derniers barreaux
Depuis les arbres nus se couvrent de lait
Savez-vous que les mouettes sont revenues et empruntent ma voix pour en parler?
Dépêchez-vous d’en rire Il faut s’empresser de se taire Je vous le dis
Je dois bâillonner leur bouche affreuse d’où tombe tout le ciel en joutes rieuses jusqu’à mes pieds
Quel malentendu aux portes s’immisça pour que le palier crie comme quelqu’un qui s’en va?
Pour ne pas céder je garde les yeux grands ouverts au silence premier de votre lumière et ouvertes la nuit mes mains
Je vous écrirai demain
Contre le muret ancien qui ploie
Barbara Auzou.
Carte Postale (IX)
Je vous écris enfin
J’ai veillé tard
Il faudra bien l’admettre les coqs se sont trompés ce matin et le ciel reste sur les talons d’un impénétrable brouillard
Qui remet à plus tard toute velléité de décision
Appuyée sur une frange d’horizon je reste songeuse à cueillir la fleur du proverbe sous un soleil à moudre
Voyez comme les oiseaux germent dans le vent et préparent le levain du jour
Ils redressent tous les champs À toute autre chose je reste sourde
Et je prépare le reste du temps dans la cuisine d’après
Je brosse longuement le crin de mes heures sur la moitié d’une chanson
Quand revenez-vous donc?
Barbara Auzou
Carte Postale (X)
Je vous écrirai aujourd’hui comme hier
J’ai ré-ouvert le grand livre muet sur les mots alourdis et sévères qui réjouissent de coutume les grandes tablées austères et les festins obligés
J’ai la faculté d’être absente et active vous le savez
Je moutonne à ma laine
J’ai fait l’inventaire des brutalités qui ont dévoré nos rires glacés et gâté nos dents de marrons
Bientôt va s’éprouver l’oiseau de Noël
Sur l’horizon
Et dans le grand matin des hommes de peine
Au ventre de la grande nuit fardée d’un soir rouge quelque chose veut parler Et n’ose Et ne bouge
Alors j’écris sur des murs lumineux des mots de feu et d’opale
Et signe notre entente musicale que je vous envoie dans un encorbellement de soi
Dont vous me direz des nouvelles
Je vous écrirai demain
Fidèle
Barbara Auzou.
Carte Postale (XI)
Dans le décor mal planté d’un songe de papier froissé
J’entretiens mon courage définitif comme on descend au secret du matin
Vos mots vif-argent qui sentent le jour et le pain perdurent dans l’œil du grand cerf qui s’est remis en chemin au terme de sa mission et de son supplice
Les braves chevaux du sang bientôt reprendront leur course à la manche retroussée de leur destin et mon cœur immédiat lutte avec le vent comme une couronne déchirée dans la cage de son sommeil
Imitant les enfants qui se demandent dans combien de veilles j’apprends l’algèbre sur la toise effrontée de nos futurs soleils
Vous ai-je raconté que sur le versant ouest du jardin l’aile de la nuit en secret nidifie son lendemain dolent?
J’attends le printemps
Je vous écrirai demain plus longuement
Barbara Auzou.
Carte Postale (XII)
Comme on reste dans cet entre-deux pour qu’après il fasse plus clair
Je me balance dans la marelle de l’aube entre ciel et terre Le cœur au galet plat du nombre qui emprunte le couloir des jours abstraits
Depuis longtemps déjà les sauces sur les tables se sont figées
Seul le vieux pommier privé d’agapes est intarissable Il a chassé les ombres de la pudeur du pré et affranchi le souffle de ses errances
Le jour penche
Songeuse j’ai ramassé le galet et refermé les persiennes
Je garde la beauté à l’écrin de nos soins dans le seul musée qui lui convienne
Il me semble que s’endort l’oiseau-gardien aux creux de mes reins
Je vous écrirai demain
Barbara Auzou
Carte Postale (XIII)
Je vous écris comme en secret on s’apprête
Le traîneau long des fêtes sur ses sillons d’emphase me laisse toujours circonspecte
L’hiver fort heureusement à l’élégance souvent de rester sans phrase et de ne pas s’imposer à ma voix inquiète
Seule enfin je chante sans bruit au tablier retourné de mon ventre
Vous le savez le grand ennui n’a jamais eu de prise ici et ma vue a pris d’assaut le décoloré d’un paysage qui n’avait rien demandé pour en faire une fenêtre nue
Il me semble que les preuves de vie se multiplient ce matin et ma chaise forgée par le fer de vos soins est passée au bleu
Quelque chose dans l’air tremble devant mes yeux
Et nous ressemble
Je vous maintiens en résidence ouverte sous mes paupières
Barbara Auzou.
Carte Postale (XIV)
Affligée d’un gros rhume
Je vous écris pourtant comme un pourvoyeur d’été qui tend fébrilement sa pauvre fleur de papier dans la brume
Je mange le vent de la saison un peu à contre-temps et observe le vieux monde se baigner dans son eau sale ressassant son monologue de sourd qui sonne comme un recensement
Alors je renverse le mouvement cultivant en parfaite vestale l’instant où poussent les yeux sur le silence et puis l’élan
C’est fou ce que l’on voit du vivre quand on se tient à l’écart du vivant
Sachez que le verbe reste en fleur sous le givre mais que tellement occupés à ne pas nous décevoir nous ne vîmes pas la collision des contraires ni les taupinières attaquer les dents du jardin
À lui donner un costume de sourires et de printemps il faudra sérieusement pourvoir
Il se fait tard
Je vous écrirai demain
Barbara Auzou.
Carte Postale (XV)
Écrire disiez-vous
Sur le corps déjà mort de l’immédiate éternité
Je vous répondais le verbe et le corps rond
Et la première salive dans un morceau d’émotion
Comme un langage qui tiendrait sa promesse
Et quelle prouesse les mots qui montent dans chaque orbite claire
Voyez comme ils ont eu raison de nos quais désaffectés et la marée est restée
Verticale
Toujours couchée dans le sens du vent je vous recevais mieux la tête sur les genoux des anciennes plaies
Étales
Comme je sais à quel point il faut court circuiter la pensée de sa vitesse
Ce n’est pas en vain que l’on prend le chemin de la beauté et encore une fois il faudra que tout se tienne serré au bord de trop parler
Pour croître en clarté au ruisseau des mains Vous lirez mes cahiers au lutrin de mes épaules demain
Tant de façons de s’écrier
Je prends le rôle au levain sérieux du matin qui germe
Je vous aime
Barbara Auzou.
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