Partout les plantes
Poussent parmi les morts,Enfoncent leurs racines
Dans les cadavres
De tous les règnes.Est-ce que les herbes
Des cimetières
Sont autres
Que celles des parcs,
Quand on les voit
Sans les situer?
En fait, la
Bretagne
N’est pas plus cimetière
Que n’importe
Quel coin de la terre.
Mais en
Bretagne, il est vrai
Que quelque chose finit,
Qu’on est là au bord
D’un espace où vivre
Serait différent.
Ailleurs les plantes
Ont à vouloir emplir
La verticalité.
Ici, le ciel
Est un voisin
Qui s’intéresse.
A hauteur d’homme,
Le ciel.
A hauteur d’homme
Qui rêve.
Ici, l’espace
Est un rez-de-chaussée.
Ici, les plantes
Paraissent plus grandes.
Régissent l’espace
Autant que les maisons.
La lande
Touche le ciel.
Ici, les plantes sont loin
D’avoir réglé leurs comptes.
Les prêles autant
Que les genêts et les ajoncs.
Le vent
Doit y être pour quelque chose.
*
Un vent qui connaît la mer,
Qui en vient
Ou qui lui retourne
Et qui jamais
N’oublie leurs noces.
Alors, bien sûr
Que l’herbe ici
Ne peut être la même
Qu’ailleurs,
A supposer qu’elle porte
Les mêmes noms. *
Ici, l’herbe n’est pas
Le même repos qu’ailleurs.
Elle aussi
Est un appel.
Elle aussi, elle dit :
Sois plus grand.
*
Elle dit :
Fais comme moi,
Pars et reste.
Sache les lointains
Pour mieux savoir l’ici.
Moi, dit l’herbe,
Le vent
M’a beaucoup
Raconté
Tailleurs.
De quoi pouvoir
Le nourrir d’ici.
*
Je sais que le vent
Me porte.
Même quand il vient de loin,
Il a goût de moi.
Je suis sûre d’être en lui,
Dans son capital.
Les fougères
Sont plus modestes.
Elles se referment
Sur leurs secrets,
Les plus vieux
De la vieille terre.
Ne regardent pas
Vers l’horizon.
*
Oui,
De l’eau.
L’eau
Toujours présente.
Même que c’est contre la pluie
Que les ajoncs sortent leurs pointes.
Du soleil, aussi.
Nulle part, le soleil
N’est comme ici,
Pendant tout le jour,
Celui du matin.
Et c’est pourquoi les plantes,
Même les fougères,
Racontent l’origine du vent
Et restent jeunes.
*
La
Bretagne
Porte ses morts
Vers l’avenir.
Un tapis
Pour cette cérémonie,
Les herbes
Des prés, des talus,
Des chemins.
Les herbes résonnent
Des sons de cloche.
N’acceptent pas
N’importe lesquels.
*
Les genêts
Sont comme les pauvres gens,
Les accompagnent,
Signifient
Qu’il faut tenir,
Que ça en vaut
La peine.
Chantent
Comme les pauvres gens,
Parfois,
Quand il fait très bon.
*
Ce que parlent toutes les plantes,
Le chêne l’enregistre,
Le garde
Pour témoigner.
Jamais, plus tard,
Les fruits
Ne pouvaient avoir
Un tel goût de terre.
Il y avait du suc d’ardoise
Dans les mûres.
Les maisons se voulaient
Au plus près des plantes.
Être des leurs
En plus clair.
Les entendre.
Participer avec elles
Aux espoirs de l’océan.
Les dangers
Ne manquaient pas.
Les goémons
Pouvaient serrer.
Sous les fougères
Se tenaient les vipères,
Nous attendaient.
Les ronces
Déchiraient les yeux.
Il suffisait de gratter
Les talus
Pour toucher des racines
Plus ou moins grosses,
On ne savait pas de quoi.
Une, un jour,
Se révéla vipère,
Fut tuée.
Rien
N’était moins étranger
Que les violettes.
Elles ne promettaient pas plus
Que le possible.
Le lichen
Sur la pierre grise.
Lequel était
Sécrétion de l’autre?
Lequel
Chevauchait l’autre?
On sentait bien
Que leur histoire Était interminable,
Rejoignait quelque part
L’épopée du goémon.
On avait des ennemis
Sans savoir pourquoi.
Parmi eux,
Les orties
Qui méchamment
Paraissaient dormir.
Ces ennemis,
C’était un monde
Que personne apparemment
Ne pouvait expliquer,
Qu’on supportait.
Les fleurs de lys
Guérissaient les mauvaises plaies. *
Il y avait des feuilles,
Des herbes,
A qui l’on pouvait
Tout raconter.
Même ses peurs
Des nuits, des gens. *
Avec le lierre
On se faisait des maisons.
Lui aussi savait
Que la terre
Montait en chaque chose,
Que partout
On était en elle.
*
Bien peut-être ne valait
Écraser une feuille, une herbe
Entre ses paumes
Et les respirer, y passer
Longuement les lèvres. *
Flagrante et quotidienne
Est la révélation
Par la feuille et la fleur
De ce que la terre
Fait de l’univers,
De ce qui dans la femme
Trouve embouchure.
*
Je te nommais tout bas :
Bruyère, bruyère —
Comme si je savais que plus tard
J’aurais regret de toi
Et du couchant
Qui te consacre
Impératrice au rang des pauvres.
*
Entre la saxifrage et la bruyère,
Entre la mousse et la pervenche,
Entre le pissenlit et le genêt,
Entre le myosotis et le chèvrefeuille,
Comme entre l’azur et le nuage,
Entre le ciel et la barque,
Entre le chêne et le toit d’ardoise,
J’existais.
J’étais là.
Je servais de lieu.
Si tu connais
Quelque chose de l’univers,
C’est que tu as bien regardé,
Comme en toi-même,
Dans le rocher,
Dans la plante inconnue
Qui poussait contre lui,
Que sur le lichen
Tu as posé ta joue.
Le ciel alors et l’océan
Ne te rejetaient pas.
*
Où retrouver ailleurs,
A travers les atlas,
Un territoire où tout se tisse
Comme un brin d’herbe?
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