Je n’ai à t’offrir que cette beauté-là

je n’ai à t’offrir que cette beauté-là

primitive

sur laquelle se retournent les voyous

et les petites-filles

parce qu’elle est faite pour eux

d’aventures et de fuites

de vérités aussi

je n’ai pas le goût des archives

je ne prends pas de notes

jamais

rien n’est fixé que ce chemin

son secret illimité

mais je vais avec mes mains avec mes yeux

vers ce livre d’heures sans fin

te cueillir un bouquet transi

d’odeurs et de temps retrouvés

et si je plante des épingles dans ma ronde nature

c’est seulement pour en éprouver l’unité sincère

j’aimerais avec toi comme on apprend un corps

recoudre doucement les tissus de cette mappemonde

singulière

si oublieuse de l’instant

jusqu’à lui faire une cuirasse bien articulée

sous une constellation de marguerites

 

Barbara Auzou

L’Orangerie / Yves Bonnefoy

Ainsi marcherons-nous sur les ruines d’un ciel

immense,
Le site au loin s’accomplira
Comme un destin dans la vive lumière.

Le pays le plus beau longtemps cherché
S’étendra devant nous terre des salamandres.

Regarde, diras-tu, cette pierre :

Elle porte la présence de la mort.

Lampe secrète c’est elle qui brûle sous nos gestes,

Ainsi marchons-nous éclairés.

Fugacité CCCXXXVIII

Photo Julie

chaque chose mûrit dans son infinitude

au soleil poussent d’autres mains plus rudes encore aux travaux du jour

l’amour nu soudain sur la dragée des dents durcit l’amande et éloigne les lassitudes

il y a un ciel rose à sillonner de bout en bout dont il fait bon s’éprendre

avec les oiseaux des libertés les plus pures

tu sais- celles qui nous tirent la langue

 

Barbara Auzou

D’un réel à l’autre

comme on revient d’une cavité profonde

pour regarder le jour en face

sur notre route sans hasard

il faudra bien que la mer fragile et forte

rassasiée et puis dansante

nous arrive comme le bonheur

et on pourra laisser nos passeports de sable

au ras de l’herbe lente belle comme un lacis de songe

épouser ces silhouettes de grès sur le vert du vallon

il y aura des oiseaux de présages

dans les soleils de notre histoire

je te cueillerai le dernier nuage

pour tirer à nous une très haute idée des lendemains

je poserai dans tes mains ce trésor morcelé

sur lequel je veille

et que je ne cesse de rassembler dans ton visage

-tu es là d’un réel à l’autre

 

Barbara Auzou

 

Cantate enracinée / Une aquarelle de Francine Hamelin accompagnée de mon poème

Cantate enracinée / Une aquarelle de Francine Hamelin

Et Francine Hamelin c’est ici

ils l’ont dit pour la fleur effrontée

 morte dans un soupir

ils l’ont dit pour l’étoile lointaine

accrochée à son dernier empire

pour nos rêves trop grands flanqués

d’illusoires jardins

et pour l’eau de nos fontaines

ils ont dit tarie

usés nos sillons sur une moitié de chanson

sur les cotons de trop de peines

éteints les parfums répétés de nos présences

sourde à toute musique la partition de nos mains

et puis brisés le pont de nos peaux et

la lumière de nos intentions

ils l’ont dit

et nous voici 

dressées entre deux soleils

dans un temps qui est le nôtre

dans un âge qui est le nôtre

et nous voici

debout dans le midi de notre étonnement

avec les baisers de l’oiseau philharmonique

pour tout printemps

et le piano bleu de tous nos voyages

ils l’on dit car ils n’ont pas vu dans nos yeux

courir les réseaux de l’arbre parent

pareil le poème vigilant dont les racines

plongent si loin dans le coeur

qu’elles vous font le chemin