« Chant d’un fantassin », Charles Vildrac.

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à André  Bacque

Je voudrais être un vieillard
Que j’ai vu sur une route ;
Assis par terre au soleil
Il cassait des cailloux blancs
Entre ses jambes ouvertes.

On ne lui demandait rien
Que son travail solitaire.
Quand midi flambait les blés,
Il mangeait son pain à l’ombre,

Je connais dans un ravin
Obstrué par les feuillages
Une carrière ignorée
Où nul sentier ne conduit.

La lumière y est furtive
Et aussi la douce pluie;
Et un seul oiseau parfois
Interroge le silence.

C’est une blessure ancienne,
Étroite, courbe et profonde
Oubliée même du ciel ;

Sous la viorne et sous la ronce
J’y voudrais vivre blotti.

Je voudrais être l’aveugle
Sous le porche de l’église :

Dans sa nuit sonore il chante !
Il accueille tout entier
Le temps qui circule en lui
Comme un air pur sous des voûtes.

Car il est l’heureuse épave
Tirée hors du morne fleuve
Qui ne peut plus la rouler
Dans sa haine et dans sa fange.

Je voudrais avoir été
Le premier soldat tombé
Le premier jour de la guerre.

 

18 réflexions sur “« Chant d’un fantassin », Charles Vildrac.

  1. A mon tour de découvrir…connaissais pas…c’est une lacune quand je vois à quel point il est marqué de guerre…oh merci Barbara…

    Il y a d’autres poèmes

    A Luc Dirtain

    Il y a d’autres poèmes
    Que je projetais d’écrire.

    J’aurais pu peupler ce livre
    De pauvres oiseaux sanglants
    Aux yeux pleins d’horreur;

    De noirs oiseaux mutilés
    Épuisant, tels que des feuilles,
    Un vol au ras des ornières
    Avant de mourir.

    O potentats, gens de guerre
    Qui nous teniez à merci !
    Sombre engeance, vieux gendarmes.
    Faux courage et faux honneur !

    Je crois n’avoir jamais pu
    Haïr pour mon propre compte,
    Mais je m’étais bien promis
    De chanter comme il convient
    Pour tuer votre légende.

    Et j’avais peur d’oublier !

    Et j’avais peur d’oublier
    Le visage des martyrs,
    La lâcheté des méchants,
    Telle angoisse et tel soupir,
    Tel aspect et tel accent.

    Hélas ! que n’ai-je oublié !
    Et que n’ai-je à ranimer
    Dans un long frémissement
    Un à un des souvenirs
    Repliés dans ma mémoire !

    La guerre est encore vivante
    Et pesante en moi comme un mal
    Qu’on n’arrive pas à guérir !

    La guerre est la tache grasse
    Qui recouvre hier,
    Mais si large et si nourrie
    Qu’elle envahit le présent.

    La guerre, ah ! je la refoule
    En moi chaque jour ;
    Une affreuse nostalgie
    Me hante et m’étreint ;

    J’attendrai d’en être libre
    Pour ajouter à ce livre ;

    Pour prêter ma voix au torrent
    J’attendrai d’être loin de lui
    Où qu’une herbe drue habite
    Son lit asséché.

    Je ne pourrais aujourd’hui
    Qu’y retremper ma colère.

    Mais la colère est impure et stérile,
    Ne sait pas chanter, refuse les larmes
    Et fait trop honneur à ce qui l’anime;
    Son cri n’est pas celui qui délivre.

    Amitié, amitié de tous mes amis,
    Innombrable amitié de mes camarades,
    Je tournerai mes yeux seulement vers ton visage ;

    Il avait, dans l’âpre aventure
    La tendresse de l’arc-en-ciel
    Et déployait comme lui son sourire
    Sur un ciel mauvais et plombé d’orage.

    Je me délivrerai, amitié, en te chantant;
    Vivace amitié toujours retrouvée
    Dans tous les remous et à tous les vents !

    Ah ! de quoi nos coeurs, dans ce long exil
    Auraient-ils pu vivre, amitié, sans toi ?
    Et sur quoi de certain, sinon sur toi
    Pourrions-nous fonder aujourd’hui la joie.
    L’inquiète joie, la fragile joie ?

    Recueil : « Chants du désespéré »

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  2. Chant d’un plumitif
    —————————

    Je voudrais être un guépard
    Courant après les gazelles ;
    Je voudrais être un busard
    Capturant les hirondelles.

    Sans penser, mordre la chair
    Où la vie tremble et palpite,
    Se cacher dans le désert,
    Sans devenir un ermite.

    Je voudrais vivre de rien
    Ou presque, dans un coin sombre,
    Ignorant le mal, le bien
    Et leurs nuances sans nombre.

    Sans penser, boire de l’eau
    Provenant d’une fontaine
    Où se baignent les oiseaux
    Dont l’âme est toujours sereine.

    Je voudrais, dans un chalet,
    Passer le jour à écrire
    Auprès des monts du Valais,
    Qui dans un grand lac se mirent.

    Sans penser, tracer des mots
    D’une écriture bien ronde,
    Inventer des animaux,
    Inventer un nouveau monde.

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